Les Impros

Il n'y a pas si longtemps, les impros étaient méconnues du public. Et pour cause, elles ne se pratiquaient qu'en séances d'exercices d'échauffement, avant un travail plus fouillé de répétitions de pièces. Aujourd'hui, elles connaissent un engouement au sein des spectateurs qui voient là un moyen à peu près imparable de s'offrir quelques heures de détente en riant la plupart du temps à gorge déployée ; les impros sont devenues à la mode.

Il en existe plusieurs sortes, que l'on pourra détailler plus tard, au fil du fil.
Il existe aussi plusieurs manières de monter un spectacle d'impros, dont nous pourrons parler.

J'ai plutôt envie de commencer par dire que l'impro sur scène ressemble à l'impro sur papier, sauf qu'au lieu de n'impliquer que l'imaginaire, la main, l'encre et le papier, on y met l'imaginaire et le corps tout entier. Dans les deux cas, il faut se mettre en état de lâcher prise, laisser tomber les complexes, prendre conscience qu'il s'agit d'un bonheur à l'état pur, et laisser libre cours à tout ce qui passe par la tête y compris le moins rationnel, et œuvrer en n'oubliant pas son ou ses partenaires de scène qui vivent exactement la même chose au même moment. Un fil de rasoir sur lequel on évolue en temps réel, sans filet, devant un public qui réagit en général par des fous-rires à répétition et prêt à s'engager dans la participation, sous plusieurs formes possibles.

En bref, l'impro est tout sauf une prise de tête. Elle est le moyen de partager des émotions ensemble !

 

Alors bien sûr, le fil du rasoir. Parce qu'il faut réagir au quart de tour, et tout faire fonctionner en même temps : l'imagination, la rapidité des réparties, la régulation de leur débit, l'attention aux autres, les mimiques, les déplacements, les contorsions diverses, le passage du réalisme au plus farfelu, les émotions, les intentions, et la justesse entre tout donner et savoir rester modeste, autrement dit ne pas bouffer l'espace collectif.

C'est un thème que nous abordons assez régulièrement au sein de la troupe, d'autant que j'ai opté pour une formule de prestations qui inclue une deuxième partie après la pièce, totalement consacrée aux impros.

Certains y voient un plaisir sans nom, d'autres y répugnent par trac, d'autres encore considèrent que les impros ne sont pas du théâtre, et que sais-je encore, les avis peuvent être multiples.

Pour ma part, je dirais que c'est un aspect incontournable du théâtre, une clé vers des espaces plus larges à plusieurs points de vue, et que s'entraîner à l'impro mène vers la subtilité qui fait souvent défaut si l'on n'y prend pas garde. J'ajouterais que ces espaces mènent à l'exploration de l'imaginaire et à celle des capacités encore ignorées. Entre autres.

 

Perso, j'ai pris le parti de mettre mes comédiens en situation extrême, c'est-à-dire de ne pas leur révéler avant l'instant T, ce que je vais leur demander de faire. L'avantage de ce système est que d'une part il leur sera ensuite plus facile d'accéder aux travaux longuement préparés (l'élaboration d'une pièce), d'autre part ils acquièrent l'obligation de l'improvisation dans le sens noble du terme, c'est-à-dire aborder sur le champ des personnages, des situations, des atmosphères, autrement dit exacerber leurs réflexes.

Aussi barbare que cela pourra vous paraître, il se trouve que cette montée d'adrénaline les rend particulièrement inventifs et qu'ils vivent à mille à l'heure ces quelques instants pas comme les autres.

 

Un autre système consiste à préparer très sommairement les impros tout en les présentant comme si elles ne l'étaient pas. Ce système peut lui-même se découper en plusieurs options. Perso, je répugne même à préparer une impro en trente secondes, ou en trois minutes, comme j'ai déjà eu à le tester. J'ai toujours été meilleure sur un top départ que sur une préparation, si minime fut-elle, ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien. Alors la préparation.... pfff

Je crois que ce que j'aime le plus dans l'impro, c'est la surprise. Celle du public, celle du comédien.

Je dirais que c'est un élément du théâtre, comme le mime, ou le conte par exemple. Et qu'outre l'entraînement, l'impro mène à la révélation de capacités plus ou moins cachées que l'on porte en soi, grâce à la rapidité imposée tant mentalement que physiquement.

Ce n'est ni de la clownerie, ni de la facilité, bien au contraire. Il faut en faire beaucoup pour comprendre réellement tout ce que cela implique en soi.


Les comédiens osent s'approcher les uns des autres et se toucher. Dans un monde assez individualiste et frileux, ces détails font partie de ce qui bouleverse le spectateur. Il perçoit instantanément la possibilité de l'union fraternelle de l'humain, alors qu'il est confronté à un monde de déshumanisation  et d'indifférence.

 

Précisons que dans ces jeux de scène où les comédiens se côtoient parfois de très près, il n'y a aucune connotation sexuelle. Y compris si l'impro traite de la séduction ou de l'amour.

A ce sujet, en fait le public ne confond pas comédiens et personnages (ou alors c'est rare, de mémoire c'est arrivé une fois). Les personnages peuvent être très amoureux, les comédiens ne sont que des interprètes et ce n'est pas parce qu'on donne un rôle à quelqu'un qu'on doit l'assimiler au personnage qu'il joue.

L'interprète, donc, doit s'approprier son personnage et s'oublier le temps du jeu pour devenir l'autre, mais pour autant il n'est pas amoureux de sa partenaire. Plus la complicité est grande, plus les comédiens sont à l'aise pour entrer dans leurs personnages, sans perdre les pédales.

Témoignage de personnes ayant assisté à nos impros : Eh bien elles n'arrivaient pas à croire que rien n'est préparé. Commentaire récurrent : on voit que vous avez vachement travaillé ! Ben non, braves gens, ben non. Tout sur le feu, sur le fil du rasoir, tout. Ils ne savent ni les thèmes, ni le fil conducteur. Je leur file les infos au compte goutte, tout au long de la soirée, de sorte qu'il s'agit d'authentiques improvisations, non pas des trucs déjà répétés.

Je crois tout simplement que mes incroyables comédiens bluffent le public, parce que toute l'année je leur impose des séances de travail théâtre basées sur des thèmes difficiles, inattendus, tordus, impossibles même (mais on sait que tout est quand même toujours possible, un vrai casse-tête, ce raisonnement, et pourtant... !) leur réclamant inventivité sur le champ. Il n'ont même pas trois secondes pour commencer à jouer, lorsque je leur donne un thème, ou un personnage, ou que sais-je. C'est sur le champ, et pas autrement. Alors évidemment, habitués à vaincre ces difficultés, vous pensez bien qu'ils sont rodés.

Un autre facteur important : la complicité du groupe. Plusieurs personnes des différents publics nous disent régulièrement : on VOIT que tous les membres sont soudés par une complicité immense. Oui. Et même j'ajoute : ils sont à l'écoute les uns des autres. Et oui. C'est la première pierre, essentielle à la construction de l'édifice.

Je suis fière de mes comédiens, ils sont sensationnels.